Notes : La crise énergétique de 2021-2022

Déséquilibre offre-demande.

Le prix sur les marchés de gros du MWh de gaz est passé de 56€ à 213€ entre le 3 septembre 2021 et le 3 septembre 20221. Cette envolée historique des prix est causée par une offre faible, due à l’effondrement des investissements dans les infrastructures de forage lors de la pandémie de COVID-19. Elle est renforcée en Europe par la réduction des livraisons de gaz russe, constituant 40% des approvisionnements européens. La sécheresse limite également les réserves hydrauliques et les approvisionnements par le Rhin. D’autre part, la demande est forte, liée à la reprise post-COVID chinoise et à la climatisation des bâtiments lors des canicules cet été. En Europe, la hausse des prix du gaz est aggravée par des mécanismes spéculatifs liés aux marchés de l’électricité : l’annonce par la Commission Européenne le 29 août d’une réforme imminente du marché de l’électricité2 a fait chuter le prix de 297€ à 186€ le MWh en quatre jours 3.

Impact direct.

L’augmentation des prix du gaz impacte directement les prix de gros, donc les collectivités et les entreprises, notamment celles dont l’activité nécessite une production de chaleur importante, ainsi que les consommateurs particuliers qui ne bénéficient pas du tarif réglementé de vente (TRV) sur le gaz, soit au total 76% des consommateurs en France pour 94% du gaz consommé. Certaines entreprises savent déjà qu’elles ne pourront pas supporter leurs factures3 lors du renouvellement de leurs contrats d’approvisionnements. Côté collectivités, déjà fortement fragilisées par des années d’austérité, cela signifie une nouvelle perte de moyens, et des services publics dégradés. Chez les particuliers, notamment pour les plus précaires, cela signifie une très forte perte de pouvoir d’achat, voire l’incapacité de se chauffer, notamment pour les 20% des ménages en situation de précarité énergétique4. Pour les consommateurs bénéficiant du TRV, le gel de ce dernier dans le cadre du bouclier tarifaire doit s’arrêter en janvier 2023, en plein hiver. La pénurie bénéficie cependant aux fournisseurs énergétiques, avec au 1er semestre 2022 un bénéfice net de 10 Mds€ pour Total et 5 Mds€ pour Engie, et leurs investisseurs avec par exemple 2 Mds€ pour BNP PARIBAS. Elle bénéficie également aux fournisseurs de GNL, spécifiquement américains, voyant s’ouvrir un marché durable avec les nouveaux projets de ports méthaniers en Europe5.

Impact sur l’inflation.

Entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, l’inflation en France a été de 5,3%. 60%6 de cette augmentation des prix est dû à l’augmentation des prix de l’énergie, directement sur les factures (chauffage, carburant, électricité), et indirectement par le renchérissement des prix, pénalisant le pouvoir d’achat des ménages précaires.

Électricité.

La hausse des prix du gaz entraîne par ailleurs celle des prix de l’électricité, passé en un an d’en moyenne 85€ à plus de 500€ le MWh, jusqu’à près de 3000€ en avril 20227. Les réserves hydrauliques limitées, ainsi que les nombreux chantiers de maintenance des centrales nucléaires liés à leurs vétustés8 augmentent la dépendance de la France et de l’Europe aux centrales à gaz. Or, depuis la libéralisation des marchés de l’électricité en Europe dans les années 1990, le prix du MWh est indexé au coût de production de la centrale la plus chère, en ce moment celui des centrales à gaz9. Cette libéralisation a rendu vulnérables les entreprises, les collectivités et 25% des particuliers aux aléas du marché de l’électricité. Les 75% des particuliers restants, clients de EDF, bénéficient du bouclier tarifaire jusqu’en février 2023 avec le plafonnement de la hausse du TRV à 4% par le gouvernement. Ce dernier est financé par une dette supplémentaire pour EDF, déjà fortement pénalisé par l’augmentation des volumes de l’ARENH en avril 202210 qui profite aux fournisseurs alternatifs.

Changement de paradigme.

La pénurie d’énergies fossiles, qu’elle soit due à une conjoncture de marché ou à la nécessité de cesser les émissions de CO2, n’est pas un épiphénomène. Le manque d’ambition de la France dans la sortie du pétrole et du gaz (respectivement 41% et 20% de la consommation d’énergie française11), a rendu vulnérable le pays aux aléas du marché, par exemple le dispositif de « Ma Prime Renov’ » qui n’a permis que 2500 rénovations performantes en 202112. Le projet de la Commission européenne semble tendre vers un plafonnement des prix comme en Espagne et au Portugal depuis juin 202213. S’il permet de réduire les factures à court-terme, ce plafonnement n’anticipe pas le changement systémique que la pénurie exige de nos sociétés.

Il s’agit de revenir sur la libéralisation du secteur énergétique pour planifier la bifurcation écologique :

  • Abroger la loi NOME,
  • Renationaliser Engie et Total,
  • Plafonner les prix, instaurer une tarification progressive,
  • Financer en amont les rénovations performantes,
  • Développer les transports collectifs et les infrastructures nécessaires aux mobilités douces et électriques,
  • Accélérer le déploiement des énergies renouvelables et
  • Soutenir les évolutions du réseau électriques qui sont nécessaires.
1 Trading Economics, EU Natural Gas
2 « L’Union européenne prépare une réforme profonde du marché de l’électricité », Le Figaro, 29 août 2022
3 « Énergie : face à l’augmentation du prix, des entreprises à l’arrêt », TF1, septembre 2022
4 « La précarité énergétique : avoir froid ou dépenser trop pour se chauffer », Insee, Mai 2021
5 « GNL : le business de la construction des méthaniers en plein boom », Robert Jules, La Tribune, Avril 2022
6 « La flambée des prix de l’énergie : un effet sur l’inflation réduit de moitié par le « bouclier tarifaire », Insee, Septembre 2022
7 « Prix de l’électricité : ce qui les fait fluctuer, du marché à la facture », RTE, juin 2022
8 « Nucléaire : un nombre record de réacteurs à l’arrêt », Perrine Mouterde, Le Monde, mai 2022
9 « Prix de l’électricité : ce qui les fait fluctuer, du marché à la facture », RTE, juin 2022
10 « EDF revoit à la hausse l’impact de l’Arenh et de sa moindre production sur l’Ebitda 2022 », Les Echos, mars 2022
11 « Bilan énergétique de la France », Datalab, Ministère de la transition écologique
12 « MaPrimeRénov’ peu efficace pour les passoires thermiques », Le Figaro, mars 2022
13 « Aides d’État: la Commission autorise une mesure espagnole et portugaise visant à réduire les prix de l’électricité en pleine crise énergétique », Commission européenne, juin 2022